LA CIGALE & LA FOURMI
La Fontaine, Valette, Boisard, Esope, Jouin, Avanius, Benserade, Jussieu, Corbière...
DE LA FOURMI & DE LA CIGALE
ESOPE
La Fourmi faisait sécher son froment qui avait contracté quelque humidité pendant l'hiver. La Cigale mourant de faim, lui demanda quelques grains pour subvenir à sa nécessité dans la disette où elle se trouvait. La Fourmi lui répondit durement qu'elle devait songer à amasser pendant l'été pour avoir de quoi vivre pendant l'hiver. " Je ne suis point oisive durant l'été, répliqua la Cigale, je passe tout ce temps-là à chanter. - Oh bien, repartit la Fourmi, puisque cela est ainsi, je vous conseille de danser maintenant ; vous méritez bien de mourir de faim.
LA CIGALE & LA FOURMI
AVIANUS (IVème s. ap. J.C.)
Celui qui a passé dans l'oisiveté sa jeunesse
et n'a point su prévoir tous les maux de la vie,
lorsque sera venu le pesant fardeau du grand âge,
en vain quémandera, hélas ! l'aide d'autrui.
Une fourmi cacha, au fond de son modeste trou,
ce que dans les beaux jours elle avait récolté;
puis, quand le gel couvrit la terre de son manteau blanc
et que le dur verglas emprisonna les champs,
ne pouvant, si chétive, affronter les frimas d'hiver,
elle resta chez elle en consommant ses grains.
Mais celle qui naguère avait étourdi la campagne
De son chant lancinant, lui demanda l'aumône :
A l'époque où sur l'aire on battait les épis bien mûrs
Elle n'avait cessé de chanter chaque jour.
Le minuscule insecte alors, en éclatant de rire,
Répondit par ces mots à sa pauvre voisine:
J'ai amassé, cigale, afin de subsister l'hiver,
Tout au long de l'été le blé de ma retraite ;
Toi ma chère, en dansant tu peux bien achever ta vie,
Puisque jusqu'à présent tu vécus en chantant!"
"L'OISIVETE"
VALETTE
Pendant l'été,
A l'ombre chantait la Cigale,
Pendant l'été,
Nuit et jour dans l'oisiveté :
Mais la Fourmi sans intervalle
Pour moissonner souffrait le hâle,
Pendant l'été
Pendant l'hiver,
Mal en point notre fainéante
Pendant l'hiver,
Pauvre, réduite à vivre d'air,
Alla quitter en suppliante
Chez la fourmi riche et contente lui dit : Belle chanteuse, danse
Pendant l'hiver
Que faisiez-vous,
Lui dit la sage ménagère,
Que faisiez-vous,
Quand tout travaillait parmi nous
A faire un amas nécessaire
De vivres dans notre tanière,
Que faisiez-vous?
Dans le beau temps
Je fredonnais, répondit-elle,
Dans le beau temps.
C'est, dit l'autre, où je vous attends:
Dansez dans la saison cruelle,
Vous qui chantiez, Mademoiselle,
Dans le beau temps
LA FOURMI & LA SAUTERELLE
VALETTE
Pendant l'été,
Chante et bondit une sauterelle
Pendant l'été,
On la voit dans l'oisiveté
Mais au travail prompte et fidèle
La fourmi ne fait pas comme elle
Pendant l'été
Pendant l'hiver,
La sauterelle est sans pitance
Pendant l'hiver,
Elle est réduite à vivre d'air
Et la fourmi dans l'Abondance,
Chez la fourmi riche et contente lui dit : Belle chanteuse, danse
Pendant l'hiver
Que faisiez-vous,
Lui dit la sage ménagère,
Que faisiez-vous,
Quand tout travaillait parmi nous
A faire un amas nécessaire
De vivres dans notre tanière,
Que faisiez-vous?
Dans le beau temps
Je fredonnais, répondit-elle,
Dans le beau temps.
C'est, dit l'autre, où je vous attends:
Dansez dans la saison cruelle,
Vous qui chantiez, Mademoiselle,
Dans le beau temps
LA CIGALE & LA FOURMI
JEAN-JACQUES BOISARD (1744 - 1833)
Chante , chante, ma belle amie,
Étourdis-toi ; voltige avec légèreté ;
Profite bien de ton Été,
Et vite hâte-toi de jouir de la vie;
L'Hiver approche.. Ainsi parloit un jour
La Fourmi thésauriseuse
A la Cigale, à son gré trop joyeuse ;
Avez-vous dit, radoteuse m'amour,
Lui répliqua la chanteuse ?
L'Hiver approche! Hé bien-nous mourrons toutes deux;
Vos greniers seront pleins, et les miens seront vides ;
Or donc, en maudissant les Dieux,
Vous quitterez bientôt vos épargnes sordides...
Moi, je veux en chantant aller voir mes ayeux.
Aussi je n'ai jamais retenu qu'un adage:
Amasser est d'un fol, et jouir est d'un sage.
LA CIGALE & LA FOURMI
FORMAGE (1800)
J’ai tout mangé, dit Claude : accours, ô Providence !
Providence se tut mais l’Écho reprit:« Danse !»
Dans le beau temps
LE POÈTE & LA CIGALE
TRISTAN CORBIÈRE (1845-1875)
Un poète ayant rimé,
Imprimé,
Vit sa Muse dépourvue
De marraine, et presque nue :
Pas le plus petit morceau
De vers... ou de vermisseau.
Il alla crier famine
Chez une blonde voisine,
La priant de lui prêter
Son petit nom pour rimer.
(C'était une rime en elle).
" Oh! je vous paierai, Marcelle,
Avant l'août, foi d'animal
Intérêt et principal. "
La voisine est très prêteuse,
c'est son plus joli défaut:
" Quoi : c'est tout ce qu'il vous faut ?
Votre Muse est bien heureuse...
Nuit et jour, à tout venant,
Rimer mon nom... Qu'il vous plaise !
Et moi j'en serai fort aise.
Voyons: chantez maintenant. "
LA CIGALE & LA FOURMI
JEAN DE LA FONTAINE
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oût, foi d'animal,
Intérêt et principal. "
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien! dansez maintenant.
LA CIGALE & LA FOURMI
EDOUARD JOUIN (XVIIIème)
Par un soleil d’hiver, hélas ! bien court été,
La Fourmi butinait parmi l’herbe flétrie.
Elle voit la Cigale à la mine amaigrie
Qui se mourait de faim pour avoir trop chanté.
Prends ce grain, lui dit-elle, et qu’avec la gaieté
Il te rende la vie.
Tu ne trouves plus rien, mais j’ai dans mon grenier
Les trésors du beau temps dernier :
Ne crains donc plus la faim : chante encore, pauvre amie.
LA CIGALE & LA FOURMI
BENSERADE (1612-1691)
On connaît les Amis dans les occasions ;
Chère fourmi, d’un grain soyez-moi libérale ;
J’ai chanté tout l’Eté : Tant pis pour vous, Cigale ;
Et moi j’ai tout l’Eté fait mes provisions.
Vous qui chantez, irez, et toujours sans souci,
Ne songez qu’au présent ; profitez de ceci.
Pleurs, dit un vieux refrain, sont au bout de la danse.
J’ajoute : L’on périt, faute de prévoyance.
L'ABEILLE & LA FOURMI
L.P. JUSSIEU (1792-1866)
À jeun, le corps tout transi,
Et pour cause,
Un jour d'hiver, la fourmi,
Près d’une ruche bien close
Rôdait plein de souci.
Une abeille vigilante
L'aperçoit et se présente :
"Que viens-tu chercher ici?
Lui dit-elle - Hélas, ma chère,
Répond la pauvre fourmi,
Ne soyez pas en colère.
Le faisan, mon ennemi,
A détruit ma fourmilière;
Mon magasin est tari;
Tous mes parents ont péri
De faim, de froid, de misère.
J'allais succomber aussi,
Quand du palais que voici
L'aspect m'a donné courage.
Je le savais bien garni
De ce bon miel, votre ouvrage;
J'ai fait effort, j'ai fini
Par arriver sans dommage.
Oh! me suis-je dit, ma sœur
Est fille laborieuse;
Elle est riche et généreuse,
Elle plaindra mon malheur;
Oui, tout mon espoir repose
Dans la bonté de son cœur.
Je demande peu de chose;
Mais j'ai faim, j'ai froid, ma sœur! -
Oh! oh! répondit l'abeille,
Vous discourez à merveille;
Mais, vers la fin de l’été,
La cigale m’a conté
Que vous aviez rejeté
Une demande pareille.
Quoi? Vous savez? - Mon Dieu, oui,
La cigale est mon amie.
Que feriez-vous aujourd'hui
Si j'étais insensible et fière,
Si j'allais vous inviter
À promener ou chanter?
Mais rassurez-vous, ma chère;
Entrez, mangez à loisir;
Usez-en comme du vôtre;
Et surtout, pour l'avenir,
Apprenez à compatir
À la misère d'un autre."